Bitcoin, une inarrêtable révolution copernicienne
Publié le 05/12/24 dans Les Echos
Sidérant pour certains, attendu pour d’autres, le franchissement des 100 000 dollars par le bitcoin réactive des questionnements politiques fondamentaux : quelles sont les conséquences de l’essor de cette monnaie décentralisée pour l’économie et la puissance publique ? Que peuvent les Etats face à ce phénomène ?
A long terme, il n’y a pas de scenario intermédiaire réaliste pour le bitcoin : soit il tombe à zéro, soit il atteint des montants inimaginables. Le franchissement de la barre symbolique des 100 000 dollars nous éloigne de la première option.
Si le bitcoin n’était pas destiné à devenir progressivement un moyen d’échange généralement accepté et communément utilisé (définition standard de la monnaie), il n’aurait aucune raison de survivre en tant que simple réserve valeur. Au contraire, si son adoption se poursuit malgré les attaques informatiques et la diabolisation politique, elle connaîtra une accélération exponentielle.
A long terme, l’intérêt du public pour le bitcoin dépend de deux paramètres clés : la robustesse de son dispositif technique (sera-t-il piraté ?) et la crédibilité de son régime monétaire (son cap d’émission de 21 millions d’unités sera-t-il préservé ?). Dans les premières années, le scepticisme était rationnel. Aujourd’hui, il est imprudent de ne pas prendre Bitcoin au sérieux. Chaque jour qui passe renforce la probabilité qu’il ne soit pas piraté et que son régime d’émission ne soit jamais modifié.
Il convient de distinguer « Bitcoin » et « le bitcoin ». Bitcoin est une infrastructure de paiement qui permet de transférer de la valeur sur Internet de manière sécurisée et incensurable, tout en fonctionnant sans entité centrale. Sur cette infrastructure, circulent des unités numériques et comptables : les bitcoins. Elles sont émises de manière automatique, prévisible et non manipulable, pour rémunérer les « mineurs », acteurs mettant leur capacité de calcul informatique au service de la sécurisation du réseau.
Or ces unités sont utilisables comme monnaie. Elles possèdent les qualités objectives qu’une chose doit avoir pour être adoptée durablement comme moyen d’échange par les individus sans être imposée par la loi : elles sont homogènes, divisibles, portables, vérifiables, robustes, relativement rares et très coûteuses à produire. Comme les métaux précieux, surtout l’or.
Il n’est donc pas absurde que certains essayent d’utiliser le bitcoin comme une monnaie : d’abord comme réserve de valeur, puis comme moyen d’échange. Surtout dans un contexte de dépréciation tendancielle des monnaies étatiques, conséquence inexorable des politiques monétaires expansionnistes conduites pour monétiser des dettes publiques hors de contrôle.
Mais il n’est pas illogique non plus que ce processus de transformation du bitcoin en monnaie prenne du temps. Chacun n’a pas la même aversion au risque ni la même sensibilité aux inconvénients transitoires du bitcoin comme sa volatilité.
Nous entrons toutefois dans une phase où des acteurs massifs, entreprises et collectivités publiques, après avoir observé attentivement cette curieuse créature pendant des années, la considèrent pérenne. En décidant d’en acquérir, ils renforcent son attractivité.
La clé de ce phénomène réside dans un étonnant mécanisme du protocole Bitcoin : l’ajustement de la difficulté du minage. Toutes les deux semaines, la difficulté de l’équation cryptographique à résoudre par les mineurs est automatiquement adaptée à la puissance de calcul globale du réseau. L’objectif est d’éviter un dérèglement du rythme d’émission des bitcoins en cas de forte variation de l’activité du minage.
Ce mécanisme fait du bitcoin le premier objet monétaire dont une hausse de la demande n’entraîne pas une augmentation de sa production (contrairement aux autres monnaies qui finissent toujours par se déprécier et disparaître) mais un renforcement de sa robustesse technique (à travers la hausse du cours qui motive une intensification du minage), et donc de sa désirabilité. Toutes choses égales par ailleurs, une hausse de la demande engendre donc… une hausse de la demande ! Ce mécanisme explique à la fois pourquoi Bitcoin existe toujours et comment son adoption pourrait se poursuivre.
Avec quelles conséquences politiques ? Bitcoin met en œuvre, à l’ère numérique, les préconisations de l’école autrichienne d’économie (Mises, Hayek, Rothbard, Hoppe, etc.) : il dépolitise la monnaie. Il la désétatise. Il lui rend le caractère apolitique qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
Depuis la destruction de l’étalon or par les Etats, la monnaie marche sur la tête. Bitcoin la remet sur les pieds. Le régime fiat est intrinsèquement inflationniste. Il déstabilise l’économie, dissuade l’épargne, incite à la surconsommation et au surendettement, favorise les détenteurs d’actifs, financiarise le capitalisme, alimente la démagogie et la corruption, et finance des guerres atroces et inutiles.
Bitcoin change tout cela. Il offre une véritable souveraineté financière aux individus : leurs économies ne peuvent être ni saisies physiquement, ni dépréciées monétairement. Le rythme d’émission des bitcoins est désinflationniste : il y en a de moins en moins de créés. Conséquence, une économie sainement déflationniste, où les prix baissent au bénéfice du consommateur, sans perturber l’activité des entreprises, comme dans le secteur de l’informatique depuis des décennies.
Bitcoin est une révolution copernicienne. Il répond à l’épuisement de notre modèle politique et financier. Il offre à chacun le moyen de se prémunir contre l’inflation monétaire, impôt déguisé avantageant la puissance publique au détriment du citoyen. Plus de politique monétaire. Plus de banque centrale. Plus de possibilité de manipuler les taux d’intérêt pour faciliter le laxisme budgétaire d’un Etat-Providence perverti par le clientélisme électoral.
Les Etats ne peuvent plus arrêter Bitcoin. Tout au plus peuvent-ils ralentir son essor par la réglementation et la fiscalité. Beaucoup d’entre eux, dans une surenchère de contrôle centralisé, préparent des « monnaies numériques de banques centrales » (MNBC). Les risques de ces projets dystopiques ne feront que mettre en lumière les avantages du bitcoin.
D’autres Etats voient Bitcoin comme une opportunité géopolitique, voire un projet civilisationnel. En l’adoptant, ils n’en prennent pas le contrôle. Ils s’y soumettent. Ils ne peuvent pas corrompre son protocole. Pari irresponsable ? Lubie idéologique ? Mode passagère ? Plutôt adaptation au réel : Bitcoin est là pour rester.