L’ingéniosité et l’inventivité stupéfiantes du Lightning Network
Interview publiée le 25/08/21 par Investir
A quelles problématiques du bitcoin est censé répondre le Lightning Network ?
Premièrement, le réseau Lightning permet le passage à l’échelle de Bitcoin sans perte de sécurité et sans dépense énergétique additionnelle. Aujourd’hui, le réseau Bitcoin ne permet qu’un nombre très limité de transactions par seconde au niveau mondial — ce qui n’est d’ailleurs pas un échec mais le résultat d’un choix technique effectué pour maintenir la décentralisation du système. Or, si son adoption se poursuit — si, par exemple, un milliard de personnes essayent de l’utiliser quotidiennement — la blockchain sera saturée. Avec en moyenne 7 transactions par seconde, Bitcoin est encore loin de ce que permettent les réseaux de paiement Visa ou Mastercard en volume.
Deuxièmement, Lightning permet de surmonter une contrainte non négligeable : sur Bitcoin, les frais de transaction sont forfaitaires, ce qui rend ce réseau intéressant pour des transactions importantes (on peut transférer l’équivalent de millions d’euros pour quelques euros de frais) mais inefficient pour de petites sommes (centime voire millième d’euro). Sur le réseau Lightning, les frais sont proportionnels aux montants transférés, et avec des pourcentages très réduits, ce qui rend donc possible les micropaiements.
Comment fonctionne ce nouveau réseau ?
Le Lightning Network fonctionne grâce à un protocole informatique à code source ouvert (comme Bitcoin) proposé par deux chercheurs en 2015. C’est un système qui permet d’effectuer des transactions en bitcoins sans avoir besoin de toutes les faire valider et enregistrer par les milliers d’ordinateurs du réseau Bitcoin. Le processus est ainsi considérablement allégé, et cela sans perte de sécurité. Seuls deux types de transactions sont publiées sur le réseau Bitcoin et donc ensuite vérifiées et enregistrée dans la blockchain : celles qui ouvrent et alimentent des canaux de paiement entre des membres du réseau Lightning, et celles qui effectuent le solde net des échanges ayant eu lieu entre eux sur une certaine période.
C’est un peu comme quand nous partons en vacances avec des amis : on note dans un carnet ce que l’on se doit les uns les autres pendant le séjour, et on se rembourse la différence à la fin. C’est cette transaction finale qui est enregistrée, en plus de celle que chacun aura faite au début des vacances pour alimenter son porte-monnaie.
Comment répond-il aux besoins de la blockchain bitcoin ?
Le réseau Lightning rend possibles des transferts de sommes minuscules de manière instantanée et sécurisée. Si je veux envoyer un satoshi [0,00000001 BTC, NDLR], je ne dois payer qu’un centième ou un millième de satoshi, ce qui n’est pas possible sur la blockchain Bitcoin. Cela rend ainsi envisageable de véritables flux monétaires, des cascades de micropaiements. De nouveaux services deviennent techniquement possibles qui ne l’étaient pas avec les systèmes de paiement traditionnels. Par exemple, on peut imaginer de payer son eau ou son électricité seconde par seconde. On peut aussi penser à la monétisation des données personnelles sur Internet. Lightning permet de payer, sur des échelles de temps microscopiques, des montants microscopiques.
L’efficacité de ce réseau réside dans la possibilité d’envoyer des fonds à une personne avec qui on n’est pas connecté directement, en passant par des ordinateurs intermédiaires. Et on peut jouer soi-même le rôle d’intermédiaire pour faciliter le passage de transactions de personnes avec qui on a ouvert des canaux de paiement. Plus il y a d’intermédiaires et de canaux de paiement entre eux, plus une transaction pourra trouver un chemin rapide de l’envoyeur au receveur.
La quantité totale de fonds dans chacun de ces canaux n’augmente pas, seule leur répartition varie au gré des transactions qui circulent à travers eux. Un canal est comparable à un boulier : le nombre de boules ne varie pas, on peut simplement les faire passer d’un côté à l’autre autant de fois qu’on le souhaite. Il faut imaginer un réseau de bouliers où chaque transaction circule d’un boulier à l’autre pour atteindre sa destination finale.
Toute personne peut ouvrir autant de canaux qu’elle le souhaite, avec qui elle veut, et les alimenter en satoshis, soit pour effectuer elle-même des paiements, soit pour servir d’intermédiaire pour les autres. Dans le deuxième cas, elle fixe et annonce elle-même les frais de transaction qu’elle souhaite prélever sur les utilisateurs passant par ses canaux. Le niveau moyen des rémunérations reste faible mais n’empêche pas la mise en place d’une nouvelle économie financière : outre les particuliers qui se prêtent à cet exercice, on voit maintenant des entreprises qui créent de nombreux canaux de paiement, les alimentent en satoshis et perçoivent une rémunération pour cette liquidité qu’elles fournissent. Le nombre de participants, de canaux et de bitcoins engagés sur le réseau Lightning augmente de manière exponentielle depuis le début de l’année 2021. Si cette évolution se poursuit, ces entreprises seront des acteurs financiers incontournables de l’économie de demain.
Est-ce aussi sécurisé que la blockchain Bitcoin ?
De manière générale, oui. Comme pour Bitcoin, la sécurité est assurée sur le réseau Lightning par un système d’incitations économiques extrêmement habile qui rend plus rentable de contribuer au fonctionnement du dispositif plutôt que d’essayer d’en prendre le contrôle. Sur la blockchain Bitcoin, la sécurité est assurée par la décentralisation du réseau et par le processus du minage ; sur le réseau Lightning, les transactions en bitcoins sont sécurisées par un procédé cryptographique « anti-triche » : si l’un des deux membres d’un canal essaye de tricher en publiant sur la blockchain Bitcoin une transaction qui l’avantage mais n’est pas valide, il perd automatiquement tous ses fonds, et c’est la partie lésée qui récupère la totalité des satoshis présents sur le canal (les siens et ceux du fraudeur). Le tricheur subit donc un coût disproportionné et dissuasif. Le réseau Lightning fonctionne normalement depuis 2018 et ce procédé semble efficace.
Il y a actuellement 2.300 bitcoins sur le réseau Lightning constamment échangés par petites fractions dans des dizaines de milliers de canaux de paiement. L’ingéniosité et l’inventivité déployées dans cette technologie complexe sont stupéfiantes. Alors qu’il a suscité beaucoup de scepticisme à ses débuts, le réseau Lightning se développe désormais à toute allure. Mais il reste un dispositif très jeune, qui a été encore relativement peu attaqué d’un point de vue technique. Son infrastructure n’est pas stabilisée ; d’importants progrès restent à réaliser ; des bugs ou piratages demeurent donc sans doute possibles.
Y a-t-il encore un intérêt à passer directement par la blockchain Bitcoin si le Lightning Network se développe ?
Il sera rationnel économiquement de continuer à effectuer des paiements directement sur la blockchain pour les gros montants, et sur le réseau Lightning pour les petits montants, puisque les frais de transaction sont forfaitaires sur la première et proportionnels sur le second.
Comme pour Internet, qui est une accumulation de couches protocolaires, le réseau Lightning est une « surcouche » de la blockchain Bitcoin : il facilite le déploiement de l’objet monétaire bitcoin mais aussi la création de nouveaux outils et de nouveaux services techniques et financiers. Certains conceptualisent d’ailleurs déjà la mise en place de nouvelles couches au-dessus du réseau Lightning…